Almadina Concept

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16.08.2009 - Eclairage : Le sommeil, une affaire d'ADN

La Rubrique – Eclairage :

 

Le sommeil:

 une affaire d'ADN

Un même gène, chez l'homme, la souris et la

mouche, expliquerait l'inégalité face au besoin de

dormir. Mais les mécanismes de

régulation du repos restent mal connus.

Pline le Jeune, Napoléon Ier, Victor Hugo ou Winston Churchill se contentaient de quelques heures de repos par jour, rapportent les chroniqueurs. Einstein, lui, "en écrasait" onze heures d'affilée. Preuve que pour les grands de ce monde comme pour le commun des mortels, l'inégalité devant le sommeil est l'un des traits les mieux partagés. Une des clés de cette disparité a peut-être été découverte par une équipe américano-germanique de biologistes, qui publie ses travaux dans la revue Science du 14 août.

 

Ying He (université de Californie, San Francisco) et ses collègues se sont penchés au chevet d'une famille de sept personnes, dont deux, la mère et la fille, âgées de 69 et 44 ans, ont l'habitude de ne dormir que six heures par nuit, alors que les cinq autres, de 10 à 51 ans, restent au lit huit heures en moyenne. Cherchant une cause génétique à cet écart nocturne de deux heures au sein d'un même foyer, ils ont identifié la région chromosomique impliquée, puis passé certains de ses gènes au crible du séquençage. Ils ont constaté que l'un d'entre eux, le gène DEC2, présente une mutation (un changement de nucléotide générant une altération d'un acide aminé d'une protéine) chez les deux femmes, mais pas chez les autres membres de la famille.

Deux exceptions ne faisant pas une règle, les chercheurs ont créé des souris transgéniques (mâles et femelles, afin d'écarter la variable sexuelle), chez lesquelles ils ont fait s'exprimer le gène humain dans ses formes normale ou mutée. Ils ont ensuite mesuré leur temps de sommeil et leur activité cérébrale par électroencéphalogramme. Résultat : les rongeurs porteurs de la mutation ont des périodes d'éveil plus fréquentes. Ils ont aussi besoin d'un temps de récupération plus court après une privation de sommeil. Un comportement similaire - des phases d'endormissement apparent plus brèves - a été observé chez des drosophiles, ou mouches du vinaigre, dotées du gène mutant.

A-t-on trouvé le gène du sommeil ? Les mécanismes biologiques d'une activité - ou d'une inactivité, c'est selon - qui occupe, chez les humains, près du tiers de leur vie sont encore très mal connus. Au cours du dernier demi-siècle ont été décrits les différents types de sommeil. L'un, dit paradoxal et représentant entre 20 % et 25 % du temps total de non-veille, est marqué par une activité cérébrale et oculaire intense : c'est la phase où l'on rêve le plus. L'autre, dit lent, est le plus long et le plus réparateur.

Les rouages du sommeil ont également été mis en évidence. Le premier est la régulation circadienne, horloge interne calée sur l'alternance du jour et de la nuit. Le second la régulation homéostatique, balance entre le temps de veille et le temps de sommeil. Mais si une dizaine de gènes associés au rythme circadien ont été répertoriés, il n'en va pas de même pour ceux qui commandent le besoin de sommeil et sa durée.

"Cette étude est la première à isoler un gène - ou sa mutation - qui pourrait être associé au temps de sommeil nécessaire, chez les mammifères comme chez les invertébrés", commente Mehdi TAFTI, Professeur de Génétique du Sommeil et de ses troubles à l'Université de Lausanne. Curieusement, ajoute-t-il, DEC2 était jusqu'ici considéré comme un gène de l'horloge circadienne, même si sa fonction reste mal comprise. Les deux modes de régulation - circadienne et homéostatique -, que les biologistes imaginaient indépendants l'un de l'autre, pourraient donc "avoir partie liée".

Spécialiste de génétique moléculaire des rythmes circadiens à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), François Rouyer juge ce travail "très intéressant mais encore préliminaire". La mutation génétique n'a été observée que chez deux individus. En outre, s'agissant des souris et des mouches transgéniques, il est difficile de déterminer si leur comportement n'est pas dû à un effet secondaire sans relation avec la fonction supposée du gène. Malgré ces réserves, l'étude de Science ouvre une nouvelle voie de recherche sur la biologie du sommeil et ses troubles. Même si le fait d'être petit ou gros dormeur n'a rien de pathologique, le premier bénéficiant simplement d'un sommeil profond plus efficace.

En France, entre 20 % et 30 % de la population souffre d'un mauvais sommeil (d'insomnie sévère dans un tiers des cas), tandis que 8 % se plaint d'une somnolence diurne excessive. A l'heure où le "travailler plus pour gagner plus", variante monétaire de "l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt", est érigé en prescription, l'hypersomnolence est devenue un problème de santé publique. L'endormissement au volant est responsable de 30 % des accidents mortels et des deux tiers des accidents de poids lourds sur autoroute. Sans compter les maladies dues au décalage imposé à l'horloge biologique par le travail posté ou de nuit.

Il pourrait donc être tentant, pour les laboratoires pharmaceutiques, de mettre au point des médicaments - autres que les amphétamines - agissant sur l'expression d'un gène ciblé et réduisant le besoin physiologique de repos. Le résultat n'est pas garanti car, souligne Medhi TAFTI, "le sommeil est un état extrêmement complexe : comme tout ce qui est complexe, surtout chez l'homme, il est régulé par de très nombreux gènes, en interaction avec l'environnement".

Source: Le Monde

 



16/08/2009
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