Almadina Concept

Almadina Concept

01.11.2009 - L'Environnement : «Les incidences sur la faune et la flore sont dramatiques»

La Rubrique – L’Environnement :

 

«Les incidences sur la

faune et la flore sont dramatiques»

 

La diversité biogéographique de notre pays est le résultat de cette symbiose entre le relief, le climat et la diversité biologique.

 

Entretien avec Abdelhadim Lhafi, Haut Commissaire aux Eaux et Forêts, sur les écosystèmes face aux changements climatiques

 

Mr Abdelhadim LHAFI

 

LE MATIN : Vous avez, dans votre dernière intervention à l'IR, présenté la richesse de la biodiversité du Maroc qui vient en deuxième position après la Turquie dans le bassin méditerranéen. Un mot sur cette biodiversité ?

Abdelhadim Lhafi :
La diversité biogéographique de notre pays est le résultat de cette symbiose entre le relief, le climat et la diversité biologique, construite au fil du temps. C'est d'abord une situation géographique très particulière, puisque le Maroc est baigné par la mer méditerranéenne et par l'océan atlantique, ensuite caractérisé par une variabilité climatique qui est celle des climats méditerranéens, et enfin enrichi par cette diversité du relief tout à fait exceptionnelle.


Tout ceci a fait que le Maroc est marqué par une diversité biologique d'écosystèmes où on compte pratiquement une quarantaine d'écosystèmes terrestres dont une trentaine d'écosystèmes forestiers.


La 2e caractéristique du Maroc est que le taux d'endémisme, c'est-à-dire la flore et la faune qui sont spécifiques au Maroc, atteint un niveau de 20%. Ces divers atouts font que notre pays occupe la 2e place, après la Turquie dans le bassin méditerranéen, en terme de biodiversité. Certaines espèces, tel que le sapin du Rif n'existe qu'au Maroc parmi les pays du sud de la Méditerranée ; l'arganeraie, une espèce emblématique est pratiquement le rideau, le dernier rempart devant la progression du désert, c'est une espèce qui a « construit » sa résistance et son adaptation aux situations extrêmes, en terme de rareté de l'eau, en terme de résistance aux températures limites et en terme de contraintes pédologiques.

93%, dites-vous, du territoire national est vulnérable au phénomène de désertification. Quels sont les indicateurs qui vous permettent d'avancer ce taux ?

Face à cette richesse et cette diversité, il y a des fragilités qui font que nos écosystèmes sont soumis à des contraintes diverses. Ce sont d'abord, toutes les contraintes des climats méditerranéens, il s'agit des périodes de rupture ou de soudure assez longues qui vont pratiquement du mois de mai jusqu'au mois de septembre ou octobre, période durant laquelle il y a une rareté ou une absence totale de pluies, sauf dans les reliefs sous forme d'orages, inconstants et aléatoires, s'exprimant parfois avec violence. Sur ce tableau structurel, nous remarquons ces dernières décennies qu'il y'a des sécheresses qui sont devenues beaucoup plus longues, plus fréquentes, plus aigues, le tout intervenant sur un contexte d'aridité structurelle, puisque 95% de notre pays est situé dans un climat aride à semi aride. Ceci évidemment s'ajoute à un certain nombre de fragilités dues pour l'essentiel aux activités humaines. Les activités d'élevage et des parcours s'exercent avec une surcharge pastorale au niveau des forêts, qui est largement au delà des charges d'équilibres compatibles avec le renouvellement des ressources naturelles. Traditionnellement au début du siècle dernier, les forêts et les parcours en forêts étaient utilisés par les cheptels uniquement pendant les périodes post-moisson, c'est-à-dire entre le mois de juillet et jusqu'au mois de septembre ou octobre. Actuellement, avec la disparition ou la raréfaction des parcours dans les plaines, et pour des utilisations agricoles strictes, le « ressort » de l'équilibre de l'usage de l'espace que constituait la transhumance est rompu. La forêt accueille un cheptel qui est 4 à 5 fois plus nombreux, il y séjourne pratiquement toute l'année ; il en résulte une pression importante sur ces réserves sylvopastorales, mais surtout une perturbation du cycle de l'eau, c'est-à-dire la régénération de cette ressource. En effet, le piétinement par le tassement des sols fait que le cycle de l'eau est structurellement perturbé, notamment par la diminution des infiltrations au profit des ruissellements conduisant à plus d'érosion. A cela, s'ajoutent les activités humaines directes, notamment l'utilisation des ressources forestières comme bois de feu par les riverains, les usagers, et les ayants droit qui vivent autour ou à l'intérieur de la forêt ; avec de surcroît des situations délictuelles par la coupe d'arbres et la destruction du couvert forestier. En outre, les contraintes climatiques, s'ajoutant à la pression anthropique prédisposent à d'autres fragilités et notamment les atteintes des prédateurs, des parasites, des maladies, et tout ceci bien entendu, déséquilibre les écosystèmes naturels.

En tenant compte de l'érosion éolienne et hydrique. Quels sont les effets des changements climatiques sur les écosystèmes naturels ?

Nous remarquons depuis le début des années 80, un certain nombre d'événements naturels, notamment les phénomènes extrêmes, des inondations ou des sécheresses exceptionnelles, principalement, avec une fréquence accrue et une violence prononcée. Ce nouveau contexte crée de nouvelles fragilités pour les écosystèmes naturels. Si nous reprenons les simulations qui sont faites pour les horizons 2070 – 2080, nous pouvons déduire qu'il y aura une augmentation de température, selon les modèles et les scénarios, qui variera de 2 à 5°C en terme d'augmentation qui sera accompagné parallèlement par une diminution des précipitations qui peut atteindre 45%, notamment dans le Moyen Atlas. Ces changements seront exacerbés par une distribution de précipitations plus aléatoire dans le temps et affecteront les paramètres des chutes de pluies d'automne et de printemps. La perturbation de cette répartition géographique et temporelle aura des effets négatifs sur l'équilibre et la dynamique des écosystèmes, et cette dégradation peut revêtir des manifestations diverses, notamment l'érosion hydrique. Nous savons que les terrains qui sont fragilisés par une atteinte du couvert forestier et du couvert végétal seront touchés par l'érosion. Actuellement, au niveau du Maroc, et selon nos données, il y a à peu près 75 millions de m3 de terre, qui viennent combler les retenues d'eau ; Les barrages voient leur capacité réduite d'autant, et leur durée de vie diminuée. La capacité totale des barrages perdue depuis 1950, équivaut à 1 milliard 400millions m3, c'est-à-dire l'équivalent de la capacité du barrage de Bin El Widane ou IDRISS 1er, qui a été perdu du fait de l'envasement. Ceci représente la perte d'une capacité d'irrigation de 140.000 ha, ce qui donne toute la pertinence à nos programmes d'aménagement des bassins versants, et requiert une accélération du rythme, une intensification des actions et une mobilisation des moyens à un niveau qui permet de répondre aux défis de l'érosion. 500.000 ha ont été traités par le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification, sur une superficie d'un million d'ha qui demande des actions de restauration et de réhabilitation de façon urgente. De même, ces changements climatiques créent de nouveaux contextes notamment au niveau des migrations des espèces de faune et de flore et qui se caractérisent d'abord par une migration en latitude, c'est-à-dire une forme de progression des isohyètes qui étaient caractéristiques du Sud et qui vont progresser vers le Nord. On considère qu'une augmentation de 3°C correspond à une migration en latitude de plus de 200 Kilomètres; en d'autres termes, toutes les espèces qui avaient l'habitude de pousser dans un contexte donné migreront à peu près de 200Km vers le Nord. Ce principe est valable aussi bien pour la migration en altitude, où toutes les espèces qui pouvaient se retrouver par exemple à 500 mètres d'altitude pousseront à des altitudes supérieures à 1000 mètres, causant un véritable bouleversement qui se traduit par une reconfiguration des équilibres écosystémiques. Dans la réalité, les situations sont beaucoup plus complexes, en ce sens qu'une augmentation de température couplée à une baisse de précipitations, créent de nouveaux déséquilibres en relation avec les expositions Nord, Est, Sud, Ouest. En effet, la rareté des pluies conduit les écosystèmes à des seuils critiques, dans un certain nombre de configurations. Les versants Sud seront probablement soumis à d'autres contraintes où les espèces végétales tel qu'on en voit actuellement la distribution, seront fortement affectées par la conjugaison d'effets négatifs du climat, du sol, de l'exposition et des comportements physiologiques des espèces. Nous sommes dans une configuration où les décalages entre les durées où s'opèrent les changements climatiques et les temps que requiert l'adaptation des espèces végétales et animales, conduit à la disparition de nombreuses espèces.

L'érosion de la biodiversité est, dites-vous, un phénomène mondial avec des incidences inquiétantes au niveau de la faune et de la flore. Pouvez-vous nous donner quelques exemples d'incidences au Maroc et dans le monde ?

L'érosion de la biodiversité est un phénomène mondial. Selon les dernières évaluations de l'Union Internationale de la Conservation de la Nature (U.I.C.N), un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit, un tiers de tous les amphibiens et 70% des plantes évaluées sont en péril dans le monde. On estime également que beaucoup d'espèces végétales ou animales, inconnues encore, auront disparu avant qu'on ne les ait découvertes. C'est dire l'importance du sujet, sa gravité et l'urgence de lui réserver toute l'attention qu'il requiert. C'est d'ailleurs ce constat qui a fait prendre conscience à la communauté internationale et qui s'est soldé par l'élaboration d'une convention des Nations unies dédiée spécialement à la biodiversité. Les changements climatiques, la pression sur les écosystèmes, l'inadéquation vocation des sols-utilisation des sols, la destruction des habitats de diverses espèces sont autant de causes qui contribuent à l'érosion de la biodiversité. Le Maroc ne fait pas exception à ce tableau, avec les nuances et les spécificités de ses propres écosystèmes. Certaines espèces ont disparu de nos écosystèmes, comme les antilopes sahariennes, le lion de l'Atlas, la panthère, et le crocodile du Nil; d'autres espèces sont menacées d'extinction. Face à cette tendance, le Maroc, signataire de la convention sur la biodiversité, dispose d'une stratégie, d'un plan opérationnel et de programmes de restauration des écosystèmes, de protection des espèces et de leur multiplication pour les réimplanter dans leur milieu naturel. Nous disposons d'un inventaire de plus de 150 sites d'intérêt biologique et écologique (S.I.B.E.), d'une superficie qui dépasse les 2,5 millions d'ha et qui fait l'objet, sur un ordre de priorité, de plans d'aménagement et de réhabilitation. S'agissant par exemple des antilopes sahariens, le Parc national du Souss-Massa dans lequel nous avons pu élever des colonies de gazelles, d'oryx et d'addax, nous a permis de repeupler déjà, dans leur milieu naturel, ces espèces, notamment dans la réserve de Safia à l'Est de Dakhla dans nos provinces sahariennes, et dans la réserve de Msissi dans la province d'Errachidia. C'est une opération de reconstitution qui est en marche, et qui donne de bons résultats pour peu que les conditions des écosystèmes naturels dans lesquelles ces espèces vivaient, soient rétablies, restaurées, et préservées avec moins de pression de l'homme, moins de compétition avec le cheptel, et moins de modifications des habitats naturels.

Qu'en est-il de la flore ?

Pour ce qui concerne la flore, un certain nombre d'espèces sont également menacées. Souvenons-nous que dans les milieux des années 90, 40 % de la flore marocaine était considérée comme « commune » ; en 2050, il n y aura pratiquement plus que 17 % de flore commune, et si la tendance continue dans ses formes actuelles, 22 % de la flore du Maroc risque de disparaître en 2050. C'est aussi à cela que répond le programme de création des sites d'intérêt écologique et biologique. Cet appauvrissement de la biodiversité à travers le monde n'est pas uniquement une préoccupation d'écologistes ou une forme « d'intégrisme » écologiste, il a des incidences tout à fait concrètes sur l'Humanité, la sécurité alimentaire et sur un certain nombre d'équilibres des écosystèmes qui influent sur la pérennité de notre planète et notre responsabilité à léguer aux générations futures des conditions de leur propre développement. On peut citer à titre d'exemple, la disparition d'insectes, d'oiseaux ou de mammifères pollinisateurs, qui peut être constatée avec indifférence, quand on ignore que 80% des espèces végétales de la planète dépendent de ces insectes. Pour se reproduire, ces plantes dépendent de ces espèces animales pour leur pollinisation, c'est-à-dire la fécondation croisée nécessaire à leur production. 100.000 espèces d'insectes, d'oiseaux, d'abeilles, de papillons, de colibris de passereaux, et de mammifères tels que les chauves souris, servent à la reproduction sexuée de la plupart des plantes et des fleurs. C'est cette interaction qui fait vivre les uns et les autres, les constituants d'un écosystème dans un équilibre complexe et fragile et qui fournit à l'Humanité les ingrédients de sa propre survie.


La perte d'insectes pollinisateurs inflige une perte à la production mondiale des cultures évaluées à 153 milliards d'euros, l'équivalent de 9,5 % de la valeur de la production alimentaire mondiale. Ces exemples montrent que la biodiversité n'est ni un thème abstrait, ni un simple sujet d'intérêt pour ceux qui s'intéressent à la complexité des écosystèmes et à leur dynamique, mais un élément fondateur de la vie, de l'avenir de l'Humanité, et de la pérennité de notre planète qui engage notre responsabilité vis-à-vis de nous mêmes et des générations futures.

Quid des effets sur la santé des êtres vivants ?

Ce phénomène peut être appréhendé sous divers angles. Le premier, le plus apparent concerne les effets directs, sur tous les êtres vivants, dus à la chaleur, à l'ensoleillement, au rayonnement, aux phénomènes extrêmes…..Des études au niveau de l'Union européenne ont montré qu'une augmentation de température de 1°C fait augmenter le taux de décès chez l'Homme uniquement du fait de la canicule de 1 à 4 %, ce qui représente 30.000 à 50.000 décès supplémentaires. L'inventaire des effets directs du changement climatique sur la santé est long et se manifeste parfois par des réactions en chaîne, complexes et multiples.

Source : Le Matin



01/11/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 1672 autres membres