La Rubrique – L'Environnement :
Bataille diplomatique autour des
espèces menacées
Un rhinocéros victime du
braconnage découvert dans le
parc national de Kaziranga, dans le
Nord-Est de l'Inde, en février 2010.
Rarement conférence des parties de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d'extinction (Cites) aura autant fait parler d'elle. Ce coup de projecteur tient, pour beaucoup, à la focalisation sur le thon rouge, espèce convoitée et surpêchée dont le sort fait l'objet d'une intense bataille diplomatique. Son commerce pourrait être suspendu à l'occasion de cette réunion, qui se tient à Doha (Qatar) du samedi 13 au jeudi 25 mars.
L'année internationale de la biodiversité, décrétée par les Nations unies en 2010, renforce encore l'intérêt pour la conférence. Plus d'un tiers des espèces sauvages recensées par l'Union mondiale pour la conservation de la nature (UICN) est menacé d'extinction. La communauté internationale s'est engagée à stopper la destruction d'écosystèmes indispensables à l'homme, sans succès jusqu'à maintenant. Or la Cites est un des rares outils multilatéraux de protection de la nature ayant démontré son efficacité. A tel point qu'elle apparaît de plus en plus comme un recours.
L'objectif de la convention, adoptée en 1973, est de s'assurer que le commerce international d'espèces sauvages, qui génère des milliards de dollars de recettes chaque année et porte sur plus de 350 millions de spécimens, ne menace par leur survie. "Chaque jour, nous consommons de la biodiversité pour notre alimentation, notre mobilier, nos cosmétiques, nos vêtements, nos bijoux, nos objets d'art, notre pharmacie, souligne Juan Vasquez, porte-parole du secrétariat de la Cites. La nature est une ressource renouvelable si on la gère bien, mais si on dépasse les limites, on provoque des extinctions."
Pour endiguer le phénomène, chacun des 175 Etats parties de la Cites peut, tous les trois ans, proposer d'intégrer une ou plusieurs espèces à l'une des annexes de la convention. L'annexe I est réservée aux animaux et végétaux menacés de disparition imminente. Si la proposition est votée à la majorité des deux tiers, le commerce international en est interdit. Les espèces surexploitées, sans être en danger critique, sont proposées à l'annexe II. Leur commerce est autorisé, mais les Etats doivent fournir des certificats garantissant qu'elles ont été prélevées légalement et qu'elles ne sont pas surexploitées.
Quelque 33 000 espèces sont aujourd'hui classées, dont moins d'un millier à l'annexe I, qui inclut grands singes, éléphants, guépards, tigres, tortues, oiseaux de proie, crocodiles, cactées, orchidées... Le système a fait ses preuves. L'interdiction du commerce international de l'ivoire, en 1989, a été un moment historique pour la Cites. Sans cette convention, il n'y aurait sans doute plus à la surface du globe ni éléphants, ni tigres, ni rhinocéros, ni tortues marines...
"OUTIL LE PLUS PUISSANT"
"C'est l'outil le plus puissant pour protéger la biodiversité, commente Lucien Chabason, directeur délégué de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). D'abord parce que la Cites utilise l'arme commerciale. Ensuite parce qu'elle fonctionne à la majorité et non à l'unanimité. Un Etat ne peut donc bloquer une décision. Enfin, elle a su assurer la mise en oeuvre de ses décisions, grâce à la mobilisation des services douaniers dans les ports et les aéroports."
"Contrairement à la Convention sur la diversité biologique de 1992, qui fixe des objectifs généraux et fait appel au volontariat des Etats, sans réel débouché, la Cites prend des décisions concrètes qu'elle fait appliquer", renchérit Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l'UICN. Si un Etat n'applique pas correctement une décision, il peut être sanctionné par une interdiction totale du commerce des espèces listées.
En raison de cette efficacité, le champ couvert par la Cites grandit. Historiquement centrée sur les animaux et plantes emblématiques, elle s'étend aujourd'hui à des espèces exploitées commercialement à grande échelle, comme les espèces marines et certaines essences de bois, que d'autres systèmes de contrôle ont échoué à protéger. Dans le cas du thon rouge, c'est l'incapacité de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT), gérée par les Etats pêcheurs, à préserver la ressource qui a poussé certains Etats à se tourner vers la Cites. Résultat : des intérêts économiques de plus en plus puissants entrent en scène, et le jeu diplomatique se tend.
Ce bilan positif ne doit pas occulter plusieurs limites. Les Etats peuvent, en émettant une "réserve", ne pas appliquer une décision - même s'il leur faut alors assumer les risques politiques d'une telle décision, notamment une pression accrue des écologistes. De plus, la Cites ne réglemente pas le commerce intérieur, qui est aussi une cause majeure d'extinction.
Surtout, en l'absence de moyens propres, son application sur le terrain repose sur l'engagement des Etats à faire appliquer les contrôles et à lutter contre le braconnage, qui reste une menace considérable. Ces carences expliquent pourquoi le tigre d'Asie ou le rhinocéros, entre autres, sont toujours menacés, malgré leur inscription à l'annexe I.
Enfin, la Cites est loin de couvrir les multiples causes de l'érosion de la biodiversité. "Elle ne traite ni la réduction des habitats, ni l'introduction d'espèces invasives, ni la pollution, ni le réchauffement climatique, explique Colman O'Criodain, du Fonds mondial pour la nature (WWF). Ce n'est pas son rôle."
"La Cites fonctionne bien aussi parce qu'elle porte sur un objet limité", observe M. Chabason, pour qui ses succès réels "ne doivent pas faire écran à l'ampleur de la régression du vivant, qui demande une mobilisation générale".
Source : Le Monde