Almadina Concept

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01.10.2009 - Eclairage : Pourquoi la bombe iranienne fait-elle plus peur qu'une autre

La Rubrique – Eclairage :

 

Pourquoi la bombe

iranienne fait-elle plus

peur qu'une autre

 

Camille Grand, directeur de la

Fondation pour la recherche stratégique (FRS)

L'usine de conversion d'uranium

d'Ispahan, au sud de Téhéran, en Iran.

Camille GRAND est directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), à Paris.

Est-il certain que l'Iran fabrique la bombe ?

Nous savons que, dès l'époque du chah , l'Iran s'est lancé dans un vaste programme nucléaire dont la double finalité - civile et militaire - est probable. Nous savons que la République islamique a poursuivi pendant plus de quinze ans [de 1987 à 2003] des activités illicites dans des sites non déclarés à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), notamment dans les domaines sensibles de l'enrichissement et du retraitement. Et ceci en violation de ses engagements internationaux. Nous savons, enfin, que l'Iran cherche encore à camoufler l'existence de sites nucléaires sensibles, à l'image des installations d'enrichissement enterrées près de Qom dont l'existence vient d'être révélée.

Les activités liées à l'enrichissement sont les plus immédiatement préoccupantes. Nous savons que l'Iran a acquis auprès du Pakistan, par l'intermédiaire du réseau A.Q. Khan, des centrifugeuses destinées à l'enrichissement de l'uranium. Nous savons qu'il n'existe aucune différence technique fondamentale entre enrichir de l'uranium à 5 % pour fabriquer du combustible et l'enrichir à 90 % pour obtenir de l'uranium de qualité militaire. Aujourd'hui, l'Iran fait tourner ou assemble plus de 8 000 centrifugeuses sur le site de Natanz, auxquelles il est désormais nécessaire d'ajouter 3 000 autres à Qom, alors que le programme nucléaire militaire britannique a commencé avec 16 centrifugeuses ! A ce rythme, l'Iran pourrait disposer de suffisamment de matières fissiles pour fabriquer une bombe dans l'année qui vient.

L'incohérence, sur les plans économique et scientifique, de ces activités d'enrichissement, fait douter des explications iraniennes. L'Iran affirme vouloir produire son propre combustible en grande quantité, alors qu'il ne dispose pas encore d'une centrale nucléaire opérationnelle et qu'en tout état de cause celle que fabrique la Russie à Bouchehr ne pourra pas, pour des raisons de sécurité, recevoir ce combustible iranien. C'est comme si, alors que je venais de commander une machine à laver le linge, j'exigeais de construire une usine de poudre à laver dans un bunker souterrain dans mon jardin !

A ces éléments s'ajoutent d'autres indices mis en lumière par les investigations de l'AIEA : l'Iran a mené des recherches nucléaires dans des domaines d'application exclusivement militaire (uranium métal, plan d'une sphère d'uranium). Enfin, il mène ouvertement un programme balistique qui l'a conduit à déployer et à tester une grande variété de missiles dont certains seront en mesure d'emporter une charge nucléaire à plusieurs milliers de kilomètres.

Si des incertitudes techniques demeurent sur l'efficacité des centrifugeuses iraniennes, sur le caractère plus ou moins resserré du calendrier (quelques mois ou quelques années), ou sur le choix iranien d'assembler une bombe ou de s'arrêter dans un premier temps au seuil nucléaire, tous les points précédents ont été documentés par des investigations internationales et ne sont pas contestés. Ils constituent un faisceau d'indices très inquiétant qui justifie la mobilisation internationale autour du programme iranien depuis plus de six ans.

Pourquoi l'Iran n'aurait-il pas le droit de la fabriquer ? Le Pakistan, l'Inde, Israël l'ont fait sans être condamnés ainsi...

A la différence des trois pays cités, l'Iran est signataire du traité de non-prolifération (TNP) depuis 1968 et s'est engagé dans ce cadre à ne pas acquérir ni chercher à acquérir l'arme nucléaire. En contrepartie de cet engagement, il a bénéficié d'une assistance internationale pour ses activités nucléaires pacifiques.

La crise iranienne naît avant toute chose de la violation répétée des règles internationales par l'Iran, qu'il s'agisse du TNP ou des résolutions du Conseil de sécurité et du refus de ce pays d'apporter les éclaircissements nécessaires et de geler ses programmes sensibles. Son droit à l'énergie nucléaire n'est pas contesté, la construction de la centrale de Bouchehr se poursuit d'ailleurs.

Pourquoi la dissuasion ne fonctionnerait-elle pas au Moyen-Orient, comme durant la guerre froide ou, semble-t-il, entre l'Inde et le Pakistan ?

La logique de la dissuasion n'est en effet pas l'apanage des pays du Nord et elle peut fonctionner dans d'autres contextes, même si la multiplication des acteurs nucléaires en rend l'exercice plus délicat. Elle nécessite cependant des acteurs désireux d'en accepter les règles et les multiples déclarations belliqueuses de Mahmoud Ahmadinejad ne laissent pas présager d'un comportement prudent compatible avec l'établissement d'une dissuasion stabilisatrice. Il faut aussi souligner que la question d'un Iran atomique dépasse de très loin la question d'une relation dissuasive avec Israël et engagerait la sécurité de tous les Etats de la région et au-delà.

La solution pourrait-elle consister à faire en sorte que l'Iran s'arrête au seuil nucléaire, comme le Japon ?

Le modèle dit "japonais" de maîtrise de l'ensemble du cycle du combustible nucléaire ne fonctionne que parce que le Japon a toujours accepté un strict contrôle international de ses activités qui sont toutes placées sous la surveillance de l'AIEA. L'Iran a, au contraire, cherché de manière répétée à soustraire ses sites sensibles au contrôle international. Si, dans les textes, rien n'interdit à l'Iran de s'engager à long terme dans cette voie, il appartient à Téhéran de rétablir la confiance avec le système international, après deux décennies de dissimulation, pour qu'une telle solution puisse être examinée.

Est-il sûr que d'autres pays de la région, suivront l'exemple de l'Iran s'il se dote d'une capacité nucléaire militaire ?

Le pire n'est jamais sûr, mais c'est un risque sérieux. Si l'Iran devient une puissance nucléaire, beaucoup d'acteurs régionaux (Egypte, Turquie, Arabie saoudite et d'autres...) vont légitimement s'interroger sur leurs choix stratégiques et devoir prendre des décisions difficiles. Plusieurs choix s'offrent à eux : se lancer à leur tour dans un programme nucléaire militaire, se doter de défenses antimissiles, faire appel aux alliés occidentaux pour bénéficier d'une nouvelle forme de dissuasion élargie. La bombe iranienne risque d'entraîner une prolifération en chaîne dans la région.

Plus généralement, l'incapacité internationale à résoudre la crise iranienne, même après que la Corée du Nord s'est retirée du TNP et a procédé à des essais, risque d'ouvrir une nouvelle ère nucléaire, où l'affaiblissement du TNP conduirait à une prolifération tous azimuts, chacun estimant possible de franchir le seuil nucléaire sans trop de risque. Les soupçons sérieux qui pèsent sur la Syrie ou la Birmanie laissent supposer que certains sont déjà passés à l'acte. Il est d'autant plus urgent de résoudre la crise iranienne.

Propos recueillis par Natalie Nougayrède

Source : Le Monde



01/10/2009
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